03 Nov Le chemin vers la finale
Avant de disputer une 18ème finale, coup d’oeil dans le rétroviseur. La saison ne fut pas un long fleuve tranquille.
La métamorphose
Il fut des équipes des Huskies puissantes et dominatrices. Elles étaient dotées de la puissance de feu d’un contre-torpilleur et de battes de concours. Elles roulaient sur leurs adversaires avec toute la compassion d’un roulant compresseur. Il en fut d’autres qui musardaient en chemin, peu intéressées par les anonymes combats du dimanche matin, mais qui gagnaient, parce qu’il le fallait bien. Sûres de leurs forces, elles attendaient les heures chaudes de la fin de saison pour abattre leur poing sur la table et balayer tout ce qui osait résister.
Celle de 2024 n’appartient à aucune de ces catégories. Elle a construit sa propre histoire, sa propre identité, apprenant à épeler le mot résilience avant d’écrire celui de victoire. Au début, elle était comme un petit chiot qui vient de naître, maladroit sur ses pattes, hésitant devant des paysages inconnus. Puis elle a grandi, elle s’est construite, elle a pris du muscle et de l’assurance. Elle ne jappait plus, elle mordait. Elle ne grognait plus, elle aboyait. Aussi fort que ses devancières.
Elle n’a pas accompli pleinement encore sa métamorphose. Il lui reste le plus dur. L’ultime défi. La dernière montagne à gravir. Il lui reste un héritage à défendre, un flambeau à porter, une couronne à ceindre. Mais elle est prête.
Au commencement était Quentin Becquey. Un nouveau musher pour diriger la meute. Un nouveau patron prêt à s’asseoir dans le siège qu’occupèrent Christian Chénard, Sébastien Bougie, Robin Roy, Keino Perez. Il fallait du courage, certains parleraient d’inconscience, pour mettre ses pas dans les traces de ces géants. Le jeune homme connaissait le défi, et préparait le chemin. Il savait où il allait. La tête haute, la voix grave, le regard fixé sur la ligne dorée de la victoire, il voulait imposer sa façon de faire, changer une machine qui commençait à rouiller, redonner un horizon à une équipe qui doutait. « J’aime quand ça bouge », déclarait-il dans une interview d’avant-saison. Il allait être servi.
Le retournement du chaos
Le changement, c’était maintenant. Tournant le dos à un recrutement sud-américain qui apporta tant de gloire, Quentin Becquey allait faire son marché en Californie, en Indiana et au Québec. La poutine succédait aux enchiladas, la country remplaçait la salsa. Restait à savoir si la recette était la bonne.
Tout commençait tranquillement par une double victoire sans grande émotion contre Sénart. On était loin des combats homériques contre les Templiers, qui laissaient le souffle court et les cheveux un peu plus blancs. Mais l’essentiel était obtenu, Rouen engrangeait deux victoires. Tout allait bien sous le ciel rouennais.
« Je veux créer le chaos », répétait aussi le coach des Huskies, évoquant sa stratégie sur le terrain. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il allait le vivre, plutôt que ses adversaires.
Le déplacement à La Rochelle allait marquer le commencement des ennuis. Un dimanche totalement raté pour les Rouennais. Une attaque amorphe, une défense fébrile, un pitching manquant de mordant, deux défaites qui laissaient perplexes et inquiets les observateurs, oubliant trop vite qu’une saison est longue, très longue.
Nouveau voyage le week-end suivant, dans le sud, à Toulouse. Un premier match facile, trop facile peut-être. Puis de nouveau les mêmes démons qui viennent hanter les Huskies dans le 2e affrontement, avec une multitude d’erreurs démontrant que la sérénité était loin d’être au rendez-vous. Au troisième rendez-vous de la saison, Rouen ne se rassurait pas vraiment en partageant contre Montpellier, et continuer à inquiéter en laissant filer en 9e manche un match contre la plus faible équipe du championnat, Montigny.
Passant son line-up au shaker, effectuant des remplacements courageux mais peu payant en cours de match, prenant des risques tactiques, le jeune coach des Huskies vivait des moments difficiles. Mais il n’était pas le temps de réfléchir et de reconstruire, puisque le Challenge de France se présentait. À domicile.
Le temps du fatalisme
Il existe une tradition, ou une malédiction, c’est selon, dans le baseball français. L’équipe qui organise le Challenge ne le gagne pas. Elle sort même souvent très tôt de la compétition. IL y eut bien Rouen en 2011, mais il faut toujours une exception pour que les règles se confirment. Parce que les Huskies, en 2006 et 2017, étaient repartis la queue entre les jambes en regardant deux autres formations jouer pour le titre sur leur terrain.
Mais là, il ne pouvait pas être question d’échouer. Rouen était reparti bredouille en 2022. Perdre le Challenge, cela voulait dire trois compétitions consécutives sans inscrire le nom des Huskies sur le tableau des vainqueurs. Ce qui n’est jamais arrivé.
Fidèle à son envie de faire bouger les lignes, Quentin Becquey sortait une surprise de son chapeau pour le 1er match en confiant la balle au jeune Arthur Magnier, face à Sénart. Deux retraits et trois points plus tard, il quittait le monticule, et Rouen ne parvenait jamais à refaire son retard. Le lendemain, une victoire arrachée de peine et de misère contre Montigny autorisait Rouen à y croire encore. Mais on sentait bien que quelque chose ne tournait pas rond. Que la belle machine était encore grippée. Et, de fait, Rouen ne parvenait pas à redresser la barre contre La Rochelle, en train de se construire une envieuse réputation de tueur de Huskies. Les rouennais quittaient leur compétition par la petite porte, des questions plein la tête. Dans quelques regards, dans quelques phrases, dans quelques gestes, on sentait poindre le découragement, le fatalisme.
Les réponses n’allaient pas arriver tout de suite. En tout cas pas des réponses positives. Rouen se déplaçait à Savigny. Les 5 premiers frappeurs des Lions, avec 4 hits et un hit-by-pitch, se succédaient sur les sentiers. 4-0 après deux manches, et une tentative de come-back qui restait vaine. Rouen était en dehors des séries, et pouvait même à commencer à lorgner vers le bas du classement, avec une fiche négative de 5-6.
Le capitaine se lève
Dans le match suivant, Savigny prenait les devants 2-0 dès la première manche. Sans un seul coup-sûr. Deux erreurs, un wild pitch, servez-vous, la porte est ouverte. Ils étaient très peu, en ce moment précis, à se prévoir que 5 mois plus tard, les deux équipes allaient se retrouver en finale.
C’est quand cela va mal que les héros se lèvent. C’est Dylan Gleeson qui enfila ce costume. Le capitaine a pris les choses en main. Après une douzaine d’années en D1, plus de 1300 at bats, une collection de médailles d’or à faire pâlir Mickaël Phelps. Il sait quand il faut se lever. Il sait faire la différence. Il sait ce que gagner veut dire. On est en 4e manche, c’est toujours 2-0 pour Savigny. Deux retraits, deux coureurs en position de marquer. Gleeson saute sur le premier lancer. Pourquoi attendre quand on a rendez-vous avec la victoire ? C’est un double, deux points viennent marquer, et Gleeson lui-même marquera le 3e point quelques instants plus tard. Rouen prend la tête. Et ne la lâchera plus.
Ce coup-sûr fut celui de la différence. Celui de la métamorphose. Cette culture de la victoire dont les Huskies se réclamaient depuis des saisons et qui semblait oubliée dans un coin, poussiéreuse et inutile, allait reprendre toute sa place. Pendant ce temps, coach Becquey trouvait sa formule : il installait Defries, Masson et Smith au 3 premiers rangs du line-up, il installait Smith en 3e base, il déplaçait Igami en relève. Et tout se mettait à marcher. Obscure alchimie du sport, équilibre permanent entre la fragilité du doute et le chemin du succès, succession d’infimes détails qui deviennent par magie d’immenses montagnes.
Douze victoires de suite. Rouen allait dépasser un à un tous ses adversaires, les laisser sur place, en mode Pogacar. On retrouvait ces Huskies conquérant, regardant dans leur rétroviseur le peloton hagard de leurs poursuivants.